Avignon : Enquête sur une porte...

1er avril 2023

Malgré son grand âge - elle a 572 ans -, solide, elle l’est ! Cette double porte en noyer massif respire la force. Monumentale, elle l’est ! quatre mètres de haut, autant de large. Extraordinaire, elle l’est ! avec ses sculptures fascinantes qui en font une passionnante pièce de musée !

Beaucoup disent que quatre diables y figurent, mais seulement pour signifier qu

e le démon doit rester à la porte. C’est un joli conte pour les

enfants. Car il n’en est rien ! Regardons d’abord deux de ces soi-disant diables, un homme et une femme : L’homme, à gauche, possède deux petites cornes sur son front et sous son pagne on voit bien qu’il est velu à la façon d’un ours ou d’un loup ; ses jambes sont remplacées par deux branches d’arbre entremêlées. Quant à la femme, son ventre est une tête de lion posée non sur ses jambes, mais sur un socle de statue… Tout cela n’évoque pas des démons, mais plutôt ces êtres composites hésitant entre l’animal, la plante et l’humain dont le moyen-âge fut très friand sous forme de gargouilles, de chapiteaux, de miséricordes de stalles ou de lettrines ornant les manuscrits… 

 

 

 

Ces éléments de portes ne sont pas des portraits, mais de purs éléments de décoration que la Renaissance reprend de façon exubérante et qui seront employés jusqu’au début du XXe siècle comme le montrent non loin de là ces mascarons rue Carnot (ci-dessous à gauche), ou rue Petite Meuse (ci-dessous à droite) :

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais tout cela n’est que décoration. L’important ce sont les panneaux centraux de la porte. Sur le vantail de gauche, deux scènes nous sont proposées par Michel Lopis, ce riche marchand avignonnais qui les commanda en 1526 pour «  60 écus d’or sol au coin du roi » à Antoine Volard «  menuisier de bois.  » À gauche, nous voyons saint Jérôme très reconnaissable à ses attributs :

Dans sa main gauche, il tient cette grande épine de bois qu’il avait retirée de la patte d’un malheureux lion qui depuis lui était dévoué comme un vrai chien de garde et que l’on voit à ses pieds. Dans la main droite, il tient un de ces cailloux du désert avec lesquels il se frappait la poitrine par pénitence. Et sur sa table de travail, on devine une tête de mort, ce «  memento mori  » censé rappeler aux ermites la vanité des choses terrestres qui partiront en fumée avec la mort. Et cela est tout à fait intéressant, car Jérôme, secrétaire du Pape Damase avant la chute de l’Empire romain, était un intellectuel de réputation internationale. S’étant retiré à Bethléem, il fonde un double monastère et s’y retire pour traduire du grec en latin la Bible des Septantes. Malgré le rappel de la vanité des honneurs terrestres, il continua toute sa vie à correspondre avec tout ce que l’Empire romain contenait d’intellectuels… À droite, on reconnaît l’Archange saint Michel terrassant le démon. Si vous allez à Bethléem, n’oubliez pas de visiter, sous la crypte « crèche » de la basilique de la Nativité, les souterrains où Jérôme, paraît-il, faisait pénitence…

Le vantail de droite est tout entier réservé à une touchante et magnifique Annonciation :

Marie est assise sur un fauteuil, dans sa chambre : on devine le baldaquin de son lit sous un plafond à caissons. Ce n’est pas là, l’environnement d’une humble famille de charpentier, mais par avance un environnement de la Reine qu’elle deviendra après son Assomption et son Couronnement. Elle lit, la Bible bien entendu, sans doute les prophètes qui annoncent la venue du Messie. À droite, l’Archange Gabriel agenouillé sur une nuée d’encens symbolisant les Cieux : on aperçoit en bas à gauche l’encensoir… de la main droite, son index désigne le Ciel : le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe regardant Marie, donne la vie humaine au futur Jésus, la colombe se détachant sur une gloire de rayons qui symbolise Dieu le Père… c’est toute la Trinité qui est représentée là, et aussi toute l’histoire du Salut… Il s’agit en somme, d’un catéchisme illustré en bois qui enseigne les passants depuis plus de cinq siècles et qui fait pendant à l’Annonciation de pierre qui couronne le portail de l’église voisine Saint-Agricol. 

François-Marie Legœuil